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À propos

Le peintre Eric Moerenhout

Éric Moerenhout est né à Bruxelles en 1949. En 1964, il entame sa formation artistique à Saint-Luc, puis la poursuit en 1970 à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles. C’est sous la tutelle de Pierre Sterckx, à ces débuts charnières et émulateurs propres à la formation artistique, que perceront les fascinations plastiques de Moerenhout. L’âme de l’apprenti peintre de quatorze ans brûle, l’art est le feu qui la nourrit, il s’y précipite avec fougue, et la couleur le tisonne. Car c’est bien la couleur qui taraudera le peintre dès ses jeunes années, c’est elle qui accentuera la marche frénétique de son esprit, elle qui imprègnera son intuition, elle qui siègera en son corps. 

De l’esprit, du corps et de l’âme : cette trinité se verra clivée, réunie, déchirante ou libérée au fil du travail d’Éric Moerenhout, qui n’aura de cesse que d’exprimer dans sa peinture, l’une ou l’autre face de son être étrange, se passant des mots impraticables, inutiles, impossibles, et produisant, aux rythmes des diverses injonctions de la couleur, son œuvre.  

À l’aube de son art, la couleur se fait dessein de l’intellect. Objet infini et exigeant, elle entraîne le peintre dans l’expérimentation frénétique de son essence paradoxale. Dans une rencontre évidente, l’insaisissable objet se révèle à l’insaisissable esprit d’Éric Moerenhout. Le peintre expose à L’Écuyer, chez Walt, chez Chale, au Château Malou, chez Hervi, à New York chez France Pratt… Il a fait le choix surprenant de l’aquarelle. On dit d’elle qu’elle n’est pas le grand art. Au jeune peintre, elle permet pourtant l’au-travers, la réflexion, la translucidité, le degré, la fluidité. Sous le pinceau de Moerenhout, l’aquarelle exprime la recherche artistique et mathématique d’un homme qui quête le cœur du monde au sein de l’ombre et de la lumière, à la confluence de leurs rapports, dans l’éclipse de leurs oppositions, là où éclot un bleu, là où s’éteint un vert. Rapports de dualités et rapports de mêmes, c’est l’infini contenu dans l’essence de la couleur que le peintre travaille obstinément. Ses aquarelles parlent et disent l’obsession de l’homme, elles nous chuchotent à l’oreille l’existence d’une réalité impalpable, elles chantent leur présence relative, elles révèlent discrètement leurs nombres, elles caressent nos yeux avides de totalité, elles crient leur absolue nécessité.  

Une graine aura germé au-dedans du peintre. Cette présence ne s’y méprend pas : à l’artiste en échoit le privilège et le fardeau. À lui en revient la compagnie indélébile et entêtante, celle qui habite l’être autant qu’elle l’outrepasse, celle qui détient, paraît-il, quelques secrets du monde. Car c’est bien au creux d’une sensibilité de peintre que se niche absolument ce bourgeon enflant, de tours en détours, jusqu’à impérieuse éclosion.

 

Il en faudra certes des détours, au peintre et à la couleur, pour gagner l’aspiration découlant de leur union : la recherche mathématique du peintre se heurte aux limites technologiques des temps. Vicissitudes du siècle et de l’artiste qui dès lors travaillera le corps, éperdument. Des grandes huiles sur toiles de cette période, la douleur du corps et de l’âme se fait figurée. Elle se révèle dans un expressionisme ardent, d’une telle fougue que la couleur, bien qu’invariablement frénétique, ne s’intellectualise plus. Elle émane, profonde et éruptive, de l’intuition du peintre. On se la figure électriser ses bras, on la sent vibrer depuis le corps de l’artiste jusqu’à son entrée jaillissante dans la toile, sans doute malgré le peintre lui-même. Là, elle nous révèle sa magie, enfantée du combat physique lancinant entre l’artiste et sa peinture. Les sujets eux, souffrent également : performances athlétiques, arrestations, immigrations… Le peintre les anime de la communion de son âme propre, jumelle en peine, sœur de douleur, compagne du dépassement et de l’extrême.

Fi temporaire de dualité, foin fugace de la fusion du Tout et de l’Un, la radicalité de cette période ne frémit qu’à un pôle, unique et embrasé. La sève qui ruissèle à cette orée est brute et nue ; pour le peintre, qui s’imposera une large parenthèse hors des galeries turbulentes, elle ne saurait être marchandée.  

Les années nonante seront marquées par une période de fauvisme expérimental, dont on ne sait pas grand-chose ; le peintre en aura brûlé la majorité des œuvres… Il aura bien fallu cet éclat, il aura bien fallu quelques reniements, il aura bien fallu quelques recherches en quelques esquisses de portraits d’épure au noir fusain, avant le retour, dans la douceur fiévreuse de l’évidence, au berceau de l’élan créateur.  

Qu’est-il d’autre, cet élan créateur, que celui qui ordonne le chaos primordial par l’entremise de l’esprit ? Qu’est-il d’autre, cet élan créateur, que celui de l’esprit transcendant le sensible, y exhumant les secrets cachés de l’inconnu ? En faut-il de ces êtres inspirés, abasourdis par l’inouï qui s’offre à l’œil, éblouis par l’ineffable qui s’y soustrait. En faut-il de ces esprits particuliers, subjugués par l’intensité de leur âme tumultueuse, traversés de ses mouvements religieux et insondables ; secrets comme le monde, occultes comme la couleur. Cet esprit-là placera sa sensibilité sous le contrôle des chiffres. Les temps sont finalement à l’émergence informatique et le peintre se saisit de l’occasion technologique comme l’on se saisit de l’indispensable prodigue. Le devoir est impérieux, sonne l’heure.  

Au sein de ses huiles sur toile de dix carrés sur dix, suivant une algorithmie rigoureuse et complexe, Éric Moerenhout sourde l’ordre du potentiel. Son pinceau nous révèle l’épure recueillie de l’être et de la matière, comme autant d’éclats de lumière, comme autant de possibles offrandes de la couleur. Alchimie du paradoxe, proposant au contemplateur, tant la dualité que son absence, tant la disparition que la présence. La toile, s’affranchissant de la contingence, rayonne d’absolu autant qu’elle irradie la relativité de ses rapports. Quelle est donc cette sorcellerie, exhalant d’une même main, la simplicité de la totalité et l’unicité de son essence ?  C’est une autre réalité, celle des vérités profondes, celle du secret mathématique de l’abstraction du monde, que le peintre cherche sous son pinceau, dans sa démarche, au-dedans de lui. L’âme et le monde s’unissent avec l’universel, la nature et l’esprit s’unissent avec le cosmos, tous se réorganisent, se décomposent, pour mieux se réordonner. Sélectionnant parmi une infinité de possibles comme autant d’atomes contenus dans l’univers, ou composant selon une exacte rigueur mathématique, la main du peintre dirige autant qu’elle se soumet. Dans un mouvement fondamental, le peintre comme le mathématicien, unifie la diversité du réel, il offre à nos yeux et à nos esprit sa pureté. Éric Moerenhout explore ces champs que les sens échouent à investiguer. Il exprime l’intuition en lui, dans un souffle libéré, dans l’au-delà du dire, au travers d’une partition savamment orchestrée. Le peintre en plénitude compose une musique des chiffres et de la couleur. L’artiste y déploie la précision de son art, en cisèle l’éclosion, se fait orfèvre d’une axiomatique érudite. Ses sujets – ses « paysages » – sont l’occasion cueillie d’unir à jamais deux essences en une seule totalité, en tout endroit du monde.  Éric Moerenhout invoque l’osmose. Il adjure une genèse fugace, seule et unique, saisie aux confins de substances impalpables et multiples ; au-dedans des entrailles numériques, au sein des structures arithmétiques, aux fondements de l’univers, en l’étincelle de la création, au-delà de la chair et de l’os, à la lisière de l’âme, au fin cœur de l’esprit.

Léa Mandelbaum

Avril 2018

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